Gérard Cartier / Los fragmentos

El día ya está alto y la luz es escasa. en el quicio de la ventana un jardín de arbustos. un sendero de cal choca contra el muro. su espíritu se evade. no le gusta esta fábula cruel, un amor salvaje desconocido aquí. cuenta y numera las líneas. tan larga aritmética antes de alcanzar esta lección que él no sabe formular. Yo no sé que decir

Cuarenta líneas por columna, dos columnas por página. semana tras semana, la compañía de mirlos, luego el aguanieve que hace resplandecer los techos. larga pena al reinventar un sentimiento perdido. nombres inciertos, palabras medio olvidadas, tachadas una a una en la nomenclatura.

Luego el libro se pierde. devorado por las cucarachas. enmohecido por las tormentas. descuartizado debido a sus imágenes sanguíneas. recubierto por la epopeya de un casi santo de la campiña. arrastrado en el incendio de un seminario protestante.

Un día, en el encuadernado de un cartulario, encuentran un folleto cortado a la mitad. el cuchillo se llevó todo un borde: al anverso, el principio de los versos de la primera columna; al reverso, las rimas de la segunda. una estrofa está oculta en el encuadernado. el relato culmina en un verso cojo. Tan grande dicha tan gran[de]…

De 13 000 versos no quedan más que 3 000, a veces amputados de mitad. cinco fragmentos: la isla, la unión, el huerto, y la sala de imágenes. luego es el fin. sobre una viñeta, los amantes están sentados uno junto al otro. él toma su mano, ella inclina su frente hacia él. están envueltos en rojo como dentro de una hoguera.

Nosotros ajustamos fragmentos. calculamos. soñamos con una unidad perdida.

 

El frío crece la llovizna se filtra entre las tablas
La belleza pasó como una enfermedad
Tres colinas de ceniza bajo un cielo fugitivo
Bandadas de pájaros arrastrados hacia el sur
Dibujan a veces una letra efímera
No abandonan este planeta raso
Sus trazos limitados a un círculo estrecho
Un solo deseo Fingiendo no ver
La Tierra que se infla y llama a los cuerpos
No sentir el viento que entra bajo la piel
Rechazando la congoja una malvada mosca
Ámame… Encerrados en un sueño
Que los preserva de la usura El desierto
Para siempre su voluptuosidad    Yo quisiera
No saberlo Y lo que no se puede absolver
Prometerlo siempre perpetuando
Hasta mi última palabra este desvarío
Y cuando el sueño me vencerá dejar
A los amantes de los siglos futuros una alabanza
Sin estigma…
El segundo final
Tanto que repugné este instante. un cuarto gris y frío, una hamaca,
un cielo lisiado en una persiana. tarde y mañana la sombra de la segunda Isé. una campana a lo lejos, a veces, entonando las lecciones comunes. acompañarla en sordina, una pareja de sanguijuelas pegada a la garganta.

Él sabe y no espera más. en ti yo bebí mi muerte… la piel se retrae. los
tendones sobresalen. el vientre se hincha. un soplo espeso aspira sobre sus labios y caza el polvo. ¿para quién mantener el cuerpo con vida? la espera sin embargo, acostado sobre el muro húmedo. la muesca de los días se atenúa en el yeso.

Ysé solloza, un dedo sobre las líneas dudosas. se tira al mar, la tormenta retiene largamente su vela. luego aparece, choca con un cuerpo ciego,
yo no soy… en un pedazo de cristal, fuera del alcance, el cielo recorre el meridiano. yo no soy Ysé si yo no sé seguirte… ella cumple sin temblar su destino. ruedan abrazados en el abismo.

La claridad que los envolvía, ¿no era más que una ilusión? los que estaban antes que nosotros se callaron. nos condujeron sin soledad, recorriendo las dos vías y considerando incorrecta la más deseable. el tiempo perfeccionó su obra: corrompiendo el placer indecible y preservando
las últimas páginas.

Versiones del francés de Silvia Eugenia Castillero

Les fragments
Le jour est déjà haut et la lumière est maigre. dans l’embrasure de la fenêtre un jardin de buis. une allée crayeuse bute sur un mur. son esprit s’évade. il n’aime pas cette fable cruelle, un amour sauvage inconnu ici. il compte et numérote les lignes. si longue arithmétique avant d’atteindre à cette leçon qu’il ne sait formuler. Je ne sais ce que j’en dis

Quarante lignes par colonne, deux colonnes par page. semaine après semaine, la compagnie des merles, puis le grésil qui fait étinceler les toits. longue peine à réinventer un sentiment perdu. des noms incertains, des mots à demi oubliés, barrés un à un dans la nomenclature.

Puis le livre se perd. dévoré par les cafards. moisi par les orages. dépecé pour ses images à la sanguine. recouvert par l’épopée d’un demi-saint de campagne. emporté dans l’incendie d’un séminaire protestant.

Un jour, dans la reliure d’un cartulaire, on en retrouve un feuillet coupé en deux à mi-hauteur. le couteau a emporté tout un bord : au recto, le début des vers de la première colonne ; au verso, les rimes de la seconde. une strophe est cachée dans la reliure. le récit bute sur un vers boiteux. Si grande joie si gran[de]…

De 13 000 vers n’en restent que 3 000, parfois amputés de moitié. cinq fragments : l’île, l’union, le verger, et la salle aux images. puis c’est la fin. sur une vignette, les amants sont assis côte à côte. il tient sa main, elle penche le front vers lui. ils sont enveloppés dans le rouge comme dans un brasier.

Nous ajustons des bribes. nous calculons. nous rêvons d’une unité perdue.

Le froid grandit la bruine filtre entre les planches / La beauté est passée comme une maladie / Trois collines de cendre sous un ciel fugitif / Des bandes d’oiseaux emportés vers le sud / Dessinent parfois une lettre éphémère / Eux ne quittent pas cette planète rase / Leurs traces limitées à un cercle étroit / Un unique vœu Feignant de ne pas voir / La terre qui gonfle et appelle les corps / Ne pas sentir le vent qui entre sous la peau / Repoussant le chagrin une méchante mouche / Aime-moi... Enfermés dans un songe / Qui les préserve de l’usure Le désert / À jamais leur volupté   Je voudrais / Ne pas savoir Et ce qu’on ne peut acquitter / Le promettre toujours perpétuant / Jusqu’à mon dernier mot cet égarement / Et quand le sommeil m’emportera laisser / Aux amants des siècles futurs une louange / Sans flétrissure…

La seconde fin
J’ai tant repoussé cet instant. une chambre grise et froide, un lit picot, un ciel infirme dans un volet. soir et matin l’ombre de la seconde Isé. une cloche au loin, parfois, scandant les leçons communes. l’accompagner en sourdine, un couple de sangsues collé à la gorge.

Il sait et n’espère plus. en toi j’ai bu ma mort… la peau se rétracte. les tendons saillent. le ventre gonfle. un souffle épais sur ses lèvres aspire et chasse la poussière. pour qui maintenir le corps en vie ? il l’attend pourtant, couché contre le mur humide. l’encoche des jours s’émousse dans le plâtre.

Ysé sanglote, un doigt sur des lignes douteuses. elle se jette sur la mer, l’orage retient longuement sa voile. puis elle est là, elle bute sur un corps aveugle. je ne suis pas… dans un morceau de vitre, hors d’atteinte, le ciel parcourt le méridien. je ne suis pas Ysé si je ne sais te suivre… elle accomplit sans trembler son destin. ils roulent embrassés dans l’abîme.

La clarté qui les enveloppait, n’était-ce qu’une illusion ? ceux qui étaient avant nous se sont tus. ils nous ont menés sans sollicitude, parcourant les deux voies et disant mauvaise la plus désirable. le temps a parfait leur œuvre : corrompant l’indicible joie et épargnant les dernières pages.

 

 

Comparte este texto: